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Thompson, rocker nationaliste et miroir des fractures croates

  • Photo du rédacteur: François d'Alançon
    François d'Alançon
  • il y a 2 jours
  • 4 min de lecture
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Ce rocker nationaliste au passé sulfureux a réuni des centaines de milliers de spectateurs cet été. Ses concerts flattent le patriotisme kitsch de la Croatie, en pleine crise identitaire.


L'été en Croatie ne se résume pas aux remparts de Dubrovnik ou aux eaux turquoise de l'Adriatique. C'est aussi le moment où le chanteur le plus connu du pays, réputé proche de l'extrême droite, fait un carton. Le 5 juillet, Thompson — c'est son nom de scène — a organisé le plus grand concert payant de l'histoire du pays, qui compte à peine 4 millions d'habitants. Selon les organisateurs, 500.000 spectateurs se sont rendus à l'hippodrome de Zagreb, la capitale, pour assister à son show. L'« ethno-rocker » a récidivé un mois plus tard, réunissant plus de 150.000 fans à l'hippodrome de Sinj, en Dalmatie. Trente ans après la fin de la guerre, Marko Perkovic, 58 ans, confirme son statut d'icône de la culture populaire croate.


Ancien combattant

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La star puise sa légitimité dans son expérience d'ancien combattant de la « guerre patriotique » (1991-1995), qui a marqué la naissance de la Croatie indépendante. De cette période fondatrice, il a hérité son nom de guerre et de scène, Thompson, comme le vieux pistolet-mitrailleur américain qu'il avait récupéré lors de son engagement militaire. À 25 ans, il avait intégré l'unité de volontaires chargée de défendre Cavoglave, son village natal, dans l'arrière-pays dalmate. C'est aussi là, dans un bar, qu'il avait écrit, pour remonter le moral de ses camarades, Bojna Cavoglave (« Bataillon Cavoglave »), sa chanson culte. Cette promesse de vengeance contre les Serbes, diffusée pour la première fois sur Radio Split le 31 décembre 1991, devint un immense succès. Le titre mit d'emblée son groupe sur une trajectoire controversée. Avant le début du premier couplet, il reprenait le salut de guerre « Prêts pour la patrie ! » utilisé pas les unités oustachies du NDH, l'État indépendant de Croatie (1941-1945) soutenu par l'Allemagne nazie et l'Italie fasciste.

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   Marko Perkovic a longtemps entretenu cette réputation sulfureuse de barde pro-oustachi. Interrogé par la presse croate, il reconnaissait en 2004 avoir interprété Jasenovac i Gradiska Stara (« Jasenovac et Stara Gradiska »), chanson fasciste croate glorifiant les massacres de Serbes dans les camps de Jasenovac et de Stara Gradiska. Mais, depuis une quinzaines d'années, il a mis en sourdine ses convictions et menace de poursuivre les médias qui continuent de l'associer au fascisme et nazisme.

Ses concerts s'inscrivent pourtant dans une forme de normalisation culturelle du mouvement oustachi. Lijepa li si (« Que tu es belle »), ode aux régions historiques du pays, et Ako ne znas sta je bilo (« Si tu ne sais pas ce qui s'est passé »), l'un de ses derniers hits, sont devenus les hymnes officieux des supporters des équipes nationales de football et de handball.

Marié à une Canadienne d'origine croate, père de cinq enfants, Marko Perkovic affiche sa foi catholique, médaille de saint Benoît autour du cou. À ses cotés, une armée de producteurs, experts en marketing, spécialistes de sécurité et de logistique gère la « marque » Thompson, en jouant sur sa double image. Celle du patriote subversif, persécuté par les « antéchrists », les « francs-maçons » et les « communistes », et celle du chanteur plutôt conventionnel. « Thomson n'est pas un nazi, mais un entrepreneur qui monétise le patriotisme », décrypte le réalisateur Andelo Jurkas, auteur d'un documentaire sur le « phénomène »


Un rituel d'identité collective

Mélange de folklore, heavy metal, pop-rock et chant choral, ses méga-spectacles sont, au-delà de la performance musicale, un rituel d'identité collective. Le bien et le mal s'affrontent dans une guerre pyrotechnique, une fantasmagorie picturale invoquant les anges, la Mère céleste et le Christ sauveur à l'aide de drones et d'effets laser. « C'est le vol de Peter Pan au-dessus d'un pays imaginaire, persifle le politologue Darko Vinketa. Malgré son âge avancé, Thompson se fait encore passer pour Aragorn dans Le Seigneur des anneaux, éternellement figé dans une posture de colère. »

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    Son succès pourrait surprendre dans cette Croatie qui, ces dernières années, s'est distinguée par une ligne modérée et pro-européenne qui lui a permis d'intégrer le club restreint des pays cumulant les adhésions à l'Otan, l'Union européenne, la zone euro, l'espace Schengen et l'espace économique européen. Mais, dans ce retour à l'Europe effectué en moins de trente-quatre ans, il manque un récit national qui viendrait combler le vide identitaire. « Tous le rêves nationaux croates se sont réalisés, mais il semble manquer quelque chose, souligne le sociologue Marko Kostanic. Comme s'il n'y avait pas d'autre moment pour savourer ce triomphe que lors des succès sportifs et des concerts de Thompson. » Le chauvinisme incarné par le chanteur est redevenu d'autant plus désirable que les milliards d'euros de l'UE cessent d'affluer, que les inégalités se creusent et que le pays connaît un effondrement démographique et une arrivée croissante de travailleurs étrangers en provenance d'Asie. « Le nationalisme croate va devoir se réinventer, estime Marko Kostanic. On peut toujours crier "Prêts pour la patrie !", mais si le pays continue sur cette lancée, la seule patrie en vue sera une maison de retraite. »

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