Le Secret de la confiture de framboises

Qu’est-ce au juste que l’Histoire ? Maîtresse de vie, infinie séquence de variations cycliques de relations réciproques, ou bien confusion la plus ordinaire, dénuée de toute importance d’un quelconque point de vue cosmique. Les interprétations sont nombreuses, et tout aussi nombreuses les écoles qui, sournoisement, tentent de la plier à leur propre vision du monde. L’Histoire se fait alors dangereuse, devient sujette à des manipulations sans bornes. Et après tout, qu’est-ce au juste que l’Histoire ?
Dans l’émission de ce soir de « Joseph et ses frères », nous tenterons d’apporter une réponse décisive à cette question. Notre approche paraîtra sans nul doute révolutionnaire puisque jusqu’ici jamais tentée par personne. Cependant, aussi fou que cela puisse sembler, la théorie que nous allons exposer n’est autre que la vérité elle-même, la seule explication valable dans cet enchevêtrement de toiles d’araignée de situations historiques imprévues. Notre approche est en effet la seule en mesure de jeter la lumière sur de nombreux événements qui, jusqu’à maintenant, se sont présentés comme des aléas purement fortuits et contingents, mais correspondent en réalité à un ensemble de coordonnées soigneusement choisies et planifiées, destinées à dissimuler un courant souterrain de l’histoire de la civilisation humaine, courant qui, s’il s’obstine dans la même direction, aboutira à de très graves et horribles conséquences, jusqu’à la disparition définitive sur notre planète Terre de la confiture de framboises.
Les éléments que nous allons vous présenter dans l’espace d’une heure et demie sont le fruit de recherches menées depuis de nombreuses années ou plutôt – pourquoi le taire ? – depuis de nombreuses décennies, véritable obsession d’un groupe d’individus dont l’identité restera, selon leur vœu, secrète. Nous les remercions néanmoins chaleureusement de nous avoir confié ce matériau, dont nous ne présenterons ce soir qu’une partie abrégée et résumée. Notre récit commence à l’aube de l’humanité, en cet âge archaïque où la surface de notre planète appartenait encore aux mammouths et les cieux aux ptérodactyles. L’être humain n’était alors qu’une expérimentation de la nature, l’une de ces espèces destinées à disparaître, tels les dinosaures, à moins de prouver sa capacité à s’adapter à la cruauté des circonstances. Qu’est-ce au juste qui a pu pousser nos ancêtres, alors encore davantage semblables aux singes qu’aux hommes, à poser les fragiles fondements de leur futur développement spirituel ? De nombreuses hypothèses ont été émises à ce sujet, mais aucune théorie ne semble assez complète ni satisfaisante. Le fait est que, à un moment donné assez précoce de l’existence de notre espèce, nos ancêtres ont pour ainsi dire brusquement rejeté leurs instincts bestiaux pour devenir ces créatures qui, par leur intelligence si fruste et primitive qu’elle fût, ont ouvert le chemin aux splendides civilisations du Proche-Orient qui surgiraient quelques dizaines de milliers d’années plus tard.
Selon les renseignements dont nous disposons, le moment-clé de la race humaine fut celui de la mystérieuse maîtrise des techniques primitives de production de la confiture de framboises. La façon dont advint cet évènement prodigieux reste un mystère. S’est-il agi d’une illumination supérieure d’ordre spirituel ou bien, selon les théories de von Däniken, serait-ce un visiteur de l’espace interstellaire qui aurait montré à nos primitifs ancêtres la manière de faire de la confiture à partir des framboises sauvages, ou encore cette aubaine inespérée ne fut-elle que le produit du hasard ? Eh bien, nous l’ignorons tout simplement. Quoi qu’il en soit, de nombreuses découvertes dans les grottes d’Espagne et de France témoignent des premières communautés organisées de nos ancêtres préhistoriques, et contiennent également les preuves de l’existence de salles souterraines spéciales équipées de foyers destinés à la transformation des framboises. Il serait bien fondé de se poser la question de savoir pourquoi ces découvertes-là ne sont presque jamais rendues publiques. Pourquoi les chercheurs traditionnels ou modernes ne les considèrent-ils jamais qu’avec mépris ? Simple hasard, peut-être ? Nous ne le croyons pas. Ne serait-ce pas plutôt qu’un regard scrupuleux porté sur l’histoire de l’humanité sous le prisme de la fabrication de la confiture de framboises apporterait non seulement un point de vue très différent sur nos commencements, mais ébranlerait radicalement les fondements de la science historiographique telle qu’elle existe aujourd’hui ? Ce qui est frappant, c’est précisément la volonté manifeste de passer ce point de vue sous silence.
Il faut savoir qu’à travers l’histoire tout entière, de puissants groupes organisés et œuvrant dans l’ombre ont souhaité non seulement occulter le rôle de la confiture de framboises, mais se sont également employés, d’une manière perfide et monstrueuse, à éradiquer complètement la framboise de notre planète. Et comme tout le monde le sait, la Bible elle-même raconte que le jour où la framboise disparaîtra de la Terre, la fin des Temps sera annoncée.
Selon les informations dont nous disposons et qui, comme nous l’avons déjà dit, ne comptent pas au nombre des faits confirmés par l’histoire officielle, des traces de première production organisée de framboises et de leur transformation en confiture – essence spirituelle et physique de cette plante aux propriétés miraculeuses – sont repérables dans les civilisations sumérienne et égyptienne. Il est toutefois nécessaire de clarifier ce point avant d’aller plus loin.
Qu’ont-elles au juste de si spécial ces framboises, se demandera-t-on, sachant qu’une telle plante se rencontre aisément sous sa forme originelle ou bien transformée en de nombreux et très communs produits ? Or, il faut savoir que cela est faux. Ce que nous appelons framboise n’est qu’une imitation biogénétique, c’est-à-dire chimique, substituée depuis des siècles par les forces des ténèbres à la véritable framboise, désormais de plus en plus rare et qui se trouve en réalité menacée d’une extinction totale.
La véritable framboise, telle que l’ont connue nos ancêtres, est une plante sacrée dont le fruit contient la quintessence de l’équilibre entre spiritualité humaine et nature. La consommation maîtrisée de la framboise inspire la conscience et nous ouvre des horizons inconnus. Les antiques sages de Babel et d’Égypte le savaient très bien, puisqu’ils utilisaient cette plante afin d’atteindre une transe au cours de laquelle ils étaient capables de prédire l’avenir. Il est très important de rappeler qu’à cette époque il n’y avait pas de contrôle, ou tout du moins pas de monopole sur les framboises. Elles poussaient en abondance, accessibles à tous ceux qui consommaient cette plante sans les effets qui surviennent quand ses fruits sont mangés sous forme confiturée. L’exploitation judicieuse de la confiture de framboises donna des résultats prodigieux lors de l’édification des pyramides égyptiennes, et permet d’expliquer le savoir-faire incomparable dont le peuple des Pharaons fit preuve en matière de construction, capable, après la consommation d’une certaine quantité de framboises, de soulever d’énormes blocs de pierre par la seule force de leur volonté éveillée. On peut considérer à cette même lumière l’édification de nombreux autres objets mystérieux, telles les pyramides des Indiens d’Amérique du Sud, puisqu’on sait que ceux-ci se procuraient les framboises de l’Île de Pâques, dont les gigantesques têtes de pierre témoignent encore aujourd’hui d’une grande et antique race de producteurs et transformateurs de framboises.
Cependant, simultanément au développement de la civilisation antique en Europe, apparaissaient en Grèce de premiers groupes organisés travaillant à la destruction systématique des framboises, avec une volonté manifeste d’éradiquer de la mémoire collective toute trace de ce noble fruit. Il est difficile de dire quelles furent exactement leurs intentions mais, quoi qu’il en soit, le fait est que ce type de groupes étaient hautement organisés selon le principe des fraternités secrètes et disposaient de moyens considérables pour l’époque, utilisés dans le seul objectif bizarre d’éradiquer les framboises.
Comme nous l’avons déjà dit, l’histoire ancienne se présente comme un polygone de contradictions dialectiques entre, d’une part, la confiture de framboises en tant qu’émanation d’une spiritualité supérieure et, d’autre part, une sombre confrérie d’anti-framboisistes auxquels, ainsi qu’on peut le supposer, ne convenait pas du tout le fait que la framboise fut accessible au plus grand nombre. Bientôt, des conflits de plus en plus ouverts éclatèrent, qui demeurent aujourd’hui dans l’ombre de l’Histoire, de sorte que nous n’aurons pas tort de dire que les guerres puniques, du Péloponnèse ou bien d’Égypte ne furent en réalité que des batailles pour la suprématie entre cultivateurs de framboises et leurs destructeurs. Ce fut un temps de chaos et de confusion, au cours duquel la framboise perdit en effet de son influence. La dernière tentative pour restituer à la confiture de framboises ses conditions historiques appropriées se situe à l’âge d’or de la culture grecque, quand toute une réunion de sages, à la tête desquels se trouvaient Socrate et Platon, tentèrent de promouvoir le culte de la framboise comme philosophie suprême et essence de l’existence humaine. Or, les anti-framboisistes furent les plus forts. Socrate fut empoisonné et Platon, apeuré, ne voulut jusqu’à la fin de ses jours plus goûter même une seule fraise. Certains initiés du culte de l’olive parvinrent néanmoins à conserver une recette secrète de confiture remontant à l’âge préhistorique. A la faveur de la nuit, ils s’enfuirent d’Athènes et gagnèrent l’Orient, où leurs traces se perdent. Ce fut bientôt la puissante Rome qui occupa le devant de la scène et, durant son long règne, les organisations framboisistes et anti-framboisistes, devenues des factions politiques rivales, faillirent oublier leurs objectifs initiaux. Il n’y eut aucun changement jusqu’à l’arrivée de Jules César, ce grand guerrier et admirateur de la confiture de framboises. En tant que fils de Caïus, haut confiturier des dogmes framboisistes, Jules César permit aux framboisistes de conquérir le pouvoir. En échange de quoi ils financèrent ses campagnes militaires en Égypte. Et finalement ce fut là, dans la chaleur du désert du Nil, que Jules trouva l’entrée secrète de la pyramide de Khéphren, et pénétra jusqu’à la chambre où les prêtres de la Haute-Égypte produisaient jadis la confiture cérémonielle de framboises. Grâce à des inscriptions hiéroglyphiques très détaillées, il put une fois rentré à Rome restaurer la production de confiture de framboises. Or, Cléopâtre, son amante et mère de son enfant illégitime, envieuse, changea certaines parties de la formule et Rome fut bientôt inondée par une confiture de framboises de très mauvaise qualité dont la consommation immodérée entraîna des mutations hormonales chez les Romains qui, à terme, provoquèrent la chute de ce glorieux empire. Jules lui-même périt. Son fils adoptif, Brutus, entre-temps recruté par les anti-framboisistes ayant repris du poil de la bête, assassina son père avec beaucoup de cruauté. Ce fut la fin du rêve d’un vaste empire panframboisien qui se serait étendu de l’Afrique jusqu’à l’Oural.
Le christianisme, qui commence à prospérer à peu près à cette époque-là, n’est lui-même pas dénué de légendes au sujet de saintes framboises se trouvant dans le Paradis terrestre. En ce temps-là, les anti-framboisistes détenaient déjà un certain monopole sur la production mondiale de framboises et engagèrent les plus grands savants de l’époque pour qu’ils stimulent, par une sélection naturelle, la culture exclusive des pires espèces de cette plante, qui perdit ainsi beaucoup de ses propriétés essentielles et mystiques. Certaines légendes racontent que, parmi les premiers propagateurs du christianisme, se trouvaient des descendants de ce groupe d’initiés qui avaient fui la Grèce en emportant avec eux les dernières inscriptions concernant la bonne culture et la transformation des framboises. Nous ne disposons cependant d’aucune preuve définitive. Le christianisme primitif laisse en tout cas beaucoup de place pour les spéculations et certains chercheurs un peu plus hardis n’hésiteront pas à reconnaître dans les enseignements originels de Jésus des échos et allégories d’antiques prophéties sur un temps où la Terre serait à nouveau gouvernée par l’empire de la framboise. C’est ainsi que d’aucuns voient dans la transformation par Jésus de l’eau en vin lors des noces de Cana une secrète instruction sur la culture de la framboise et sa transformation en confiture de la plus haute qualité.
Nous touchons ici à un grand mystère, celui de la légende du Saint Graal. A en juger d’après les renseignements dont nous disposons, le Saint Graal, réceptacle dans lequel fut recueilli le sang de Jésus après la crucifixion, n’est en effet rien d’autre qu’une allégorie alchimique représentant l’unification spirituelle de la matière première dans le processus de la fabrication de la confiture de framboises. Selon la tradition chrétienne, le Saint Graal fut transporté en Europe. Nous pouvons interpréter cette proposition d’une autre manière – à savoir qu’un groupe de framboisistes orthodoxes parvint à rejoindre l’Europe après la conspiration odieuse du grand maître des anti-framboisistes, Ponce Pilate, qui voulait en réalité éradiquer l’antique secret de la framboise. D’autre part, saint Paul aurait lui aussi rejoint le parti des anti-framboisistes et, en tant que créateur du dogme chrétien ayant combiné la philosophie antique et certaines coutumes païennes, ce qui est exactement le contraire du christianisme plutôt judaïque de Jésus, nous comprenons pourquoi nous ne trouvons dans la Bible aucune mention des framboises et de leurs propriétés, surtout sous la forme d’une délicieuse confiture.
Pour un observateur minutieux, l’histoire de l’Europe médiévale fourmille d’indices cachés sur une recherche forcenée du secret de la framboise, mais aussi sur les conflits incessants entre framboisistes et anti-framboisistes qui tissèrent leurs toiles d’araignée d’espions dans chaque cour d’Europe. Qu’est-ce en effet que la légende du roi Arthur, sinon l’allégorie d’un homme qui, par le moyen de sa mystérieuse Excalibur, parvint à trouver la juste mesure de la poussée des framboises ? Et pourtant, il semblerait qu’Arthur n’ait pas possédé les connaissances suffisantes pour transformer cette framboise crue et obtenir la fameuse confiture aux propriétés éthérées. C’est pour cette raison qu’il envoya ses chevaliers de la Table ronde – celle-ci n’étant de toute façon que le symbole secret d’une framboisière ovale – en quête du Saint Graal, c’est-à-dire de la formule exacte pour préparer la confiture de framboises. Arthur échoua à cause d’un complot d’antiframboisistes à la tête desquels se trouvait son fils Mordred. Cependant, selon toute vraisemblance, la formule de la confiture n’était pas encore parvenue en Europe à cette époque-là.
Et peut-être serait-ce toujours le cas aujourd’hui, si les Croisades n’avaient eu lieu. Nous soulignons ici surtout l’importance de la première croisade, puisque c’est alors que fut fondée très mystérieusement une organisation encore plus mystérieuse, celle de l’Ordre des Chevaliers du Temple. Qui étaient ces prêtres-guerriers qui guerroyèrent sur le sol torride de Palestine pour la gloire du christianisme ? On ne l’a jamais su exactement. Quoi qu’il en soit, à leur retour en Europe en 1127, cet ordre fondé et glorifié par saint Bernard, le plus grand promoteur du christianisme à cette époque, devint formidablement puissant et riche. De neuf chevaliers, dont on ignore toujours la véritable identité, qui représentaient le noyau dur de l’Ordre lors de la première croisade, il s’agrandit et compta bientôt des milliers de membres à travers l’Europe entière et en Orient, possédant de vastes domaines et d’énormes quantités d’argent et objets précieux. Ces chevaliers ne devaient rendre de compte à personne sinon au Pape, et le chef de l’Église les traita lui-même avec certains égards. Les chevaliers du Temple furent alors les premiers en Europe à établir un système moderne de transfert bancaire, tout en maintenant des liens spirituels avec les Arabes aussi bien qu’avec les Juifs, ce qui était inimaginable à cette époque, surtout pour ces guerriers du Christ, ainsi que les chevaliers du Temple aimaient souvent à s’appeler eux-mêmes.
Et qui sait jusqu’où se serait infiltrée l’influence de cette organisation, si le jour du 13 octobre 1307, le roi français Philippe le Bel n’avait frauduleusement fait arrêter ses chefs sous le motif d’accusations pour le moins étranges, tels adoration du diable, sodomie, complot, etc. Les chevaliers du Temple les plus en vue furent bientôt exécutés, mais le roi Philippe ne parvint jamais à s’emparer de leur fabuleux trésor, qu’il convoitait tant. Il semblerait que les Templiers furent mis au courant du complot et, d’après certaines légendes, quelques jours avant les arrestations dix-huit galions prirent le large en emportant leur trésor. On n’en entendit plus jamais parler.
Eh bien, voilà toute l’histoire des Templiers selon l’histoire officielle. Mais quelle est la véritable histoire ? Celle des framboises, bien entendu, et de la confiture de framboises dans laquelle réside la clé de ce mystère. Il semble en effet que les Templiers, lors de leurs premiers séjours à Jérusalem, ont découvert d’anciennes instructions juives pour la culture de ce fruit et que, grâce aux contacts qu’ils entretenaient avec une secte d’assassins musulmans connue comme « l’Organisation du Vieux de la montagne », ils apprirent la manière de faire la confiture. Car il semblerait également que ces assassins n’étaient autres que les descendants de ce groupe d’Athéniens qui s’étaient jadis exilés en emportant leur secret avec eux.
Ainsi, d’après ce que nous en savons, à un moment donné les Templiers sont devenus la première organisation ayant en sa possession à la fois les plantes de framboisier et la technologie exacte pour transformer leurs fruits en confiture. Il semblerait pourtant que certains membres de l’ordre aient trahi ce secret en le livrant aux anti-framboisistes qui, à cette époque, s’étaient déjà largement infiltrés dans les cercles royaux et pontificaux. Philippe le Bel, roi de France, tenta de s’emparer de la confiture de framboises pour s’en assurer la puissance exclusive, mais n’y parvint pas. Un an seulement après les persécutions des Templiers, Philippe meurt mystérieusement. La même chose advint au pape Clément V, fantoche de Philippe, car tous deux furent maudits dans son agonie par Jacques de Molay, le dernier grand maître des Templiers, condamné par Philippe à être brûlé vif. Une fois de plus, le secret des framboises fut perdu pour la civilisation occidentale.
Les anti-framboisistes semblaient avoir enfin conquis le monde. Dans les décennies qui suivirent, c’est la production de fraises et de mûres qui prospéra, tandis que l’Église décida de fonder l’Inquisition dans un objectif très précis : persécuter les cultivateurs secrets de framboises et détruire tous les pots de confiture. Durant cette calamité périra également le grand Copernic, le sage qui, par son étude du mouvement des astres, essaya de connaître l’essence spirituelle et cosmique de la framboise. L’Église le brûla vif, et ses derniers mots – « Et pourtant elle tourne » – se rapportent à la technologie de production de la confiture qui, selon certains, s’opère par le moyen d’une meule. C’est ainsi que Copernic rejoignit la liste des grands martyres de la confiture de framboises.
Or, la répression ne saurait être une entrave définitive pour l’esprit humain assoiffé de connaissances et avide de délicieuse confiture de framboises, d’autant plus que ces années-là déclina franchement la qualité de la compote de pommes, du jus de poires ou encore de la confiture de fraises, ce fruit haïssable que les anti-framboisistes voulurent imposer comme alternative à la framboise. Des laboratoires d’alchimie fleurirent à travers toute l’Europe et le grand Paracelse publia son célèbre discours sur les propriétés chimiques de la framboise, révolutionnant ainsi la quête alchimique de la pierre aurifique, laquelle n’est autre chose qu’une métaphore adroite des laboratoires contemporains de production de confiture de framboises. Apparemment, certains y seraient parvenus. Mais tout cela reste bien modeste en comparaison de la production réelle par hectare qui avait été enregistrée dans l’ancienne Égypte.
Framboisistes et anti-framboisistes continuèrent à se mener la guerre. Ils fondèrent de nombreuses sociétés secrètes, qui ne sont qu’autant de couvertures de leurs activités réelles. Les rosicruciens, les francs-maçons, les fraisistes et de nombreux autres groupes ne pouvaient complètement dissimuler leurs activités, ni leur combat pour éradiquer la framboise ou bien la fraise, devenue l’adversaire acharnée de la framboise. De nombreux princes, membres secrets d’ordres framboisistes ou anti-framboisistes, lancèrent des expéditions en quête de nouvelles terres, dans l’espoir d’y retrouver les rendements légendaires de framboises ou de fraises. Christophe Colomb, Magellan, Drake, Barberousse, Barbe-Noire, Henri VIII, Bata Živojinović, Cervantès, le ban Kulin, tous furent impliqués de diverses manières dans ce jeu fabuleux qui prit des dimensions globales et qui, au fil du temps, vit s’affaiblir de plus en plus sa signification originelle. Plus que jamais, la confiture de framboises semblait perdue pour la postérité.
L’histoire ultérieure de la civilisation occidentale témoigne en effet d’une peur et d’une instabilité généralisées, très sensibles surtout dans les arts de ces époques où ne s’expriment que désespoir et désarroi. Dante et son Enfer, précurseur de l’inquiétude pour le futur d’une humanité privée de confiture de framboises, annonce également ce qu’exprimera l’art d’un Goya, le grotesque rabelaisien ou encore, plus récemment, la poésie de T. S. Eliot et la philosophie de l’absurde de Sartre, laquelle s’impose comme seule solution à l’absence de confiture de framboises. D’autant plus que les anti-framboisistes se sont emparés du monopole de l’agriculture industrielle, surtout en ce qui concerne les produits à base de fruits. Parallèlement au développement de la chimie moderne, ils mirent sur le marché de pâles imitations de la framboise, qu’ils parvinrent à imposer comme le seul fruit connu sous ce nom.
Surgit alors sur l’avant-scène de l’Histoire un homme qui voulut éradiquer aussi bien la framboise que la fraise, le peintre autrichien fou Adolf Hitler. Sa répugnance pour n’importe quel produit à base de fruits remonte aux années 1920, lorsqu’il fut arrêté pour sa participation au putsch raté de Munich et purgea sa peine dans la prison de Wusenbrügel, dans la Forêt-Noire, où les détenus devaient travailler dans les plantations locales de fraises et de fausses framboises. Quand il parvint à s’emparer du fauteuil de Chancelier d’Allemagne, il décida de réaliser son rêve insensé : la destruction totale des framboises et des fraises, et la plantation généralisée dans le monde entier de cerisiers nains du Japon. D’où son manifeste Mon combat, qui peut en effet être compris comme un astucieux jeu de mots allemand pour dire « mon champ », et si nous comprenons la qualification des Allemands en tant que race aryenne comme une métaphore du cerisier nain du Japon, nous obtenons de cette manière une vision très claire de sa démence.
Cependant, Hitler provoqua un effet contraire. Framboisistes et anti-framboisistes s’unirent dans un combat décisif contre lui. Après une longue guerre, le monstre nazi cerisier fut détruit, et le largage de la bombe atomique sur Hiroshima et Nagasaki, où se trouvaient en effet les plus grandes plantations de cerisiers nains du Japon, mit un point final à tous les rêves nazis. Framboisistes et anti-framboisistes enfin unis pourraient mener le monde vers un avenir radieux.
Mais très vite leur animosité resurgit et le monde se partagea en deux blocs, les framboisistes et les anti-framboisistes, c’est-à-dire l’Ouest et l’Est. On frôlait la catastrophe mondiale. Heureusement, un homme connaissait encore la formule de la confiture de framboises. Tito, dirigeant communiste d’un petit pays des Balkans, utilisa ce savoir pour se maintenir au pouvoir jusqu’à la fin de ses jours, mais également maintenir l’équilibre mondial. On parle encore aujourd’hui de ses fameuses fêtes framboisées dans le beau quartier belgradois de Dedinje, où il régalait royalement ses camarades communistes de la confiture de framboises préparée dans les caves de son palais de Bijeli Dvor. Apparemment, Tito aurait une fois fait servir une confiture de mauvaise qualité à Franjo Tuđman, à cette époque général de l’armée yougoslave, lui causant une diarrhée sévère qui dura plusieurs jours. C’est alors, d’après ce que l’on raconte, que Tuđman fit le vœu de mettre fin, tôt ou tard, à la Yougoslavie titiste.
Tito ne partagea pas son secret avec son peuple et, comme il abusait franchement de la confiture, commença à négliger les affaires de l’État, tomba malade et mourut. Le secret était de nouveau perdu. Lors de la désintégration de la Yougoslavie titiste, la formule circula d’une république fédérale à l’autre, et les généraux de l’ex-armée yougoslave mirent en branle leur machine de guerre dans l’espoir de s’emparer de la recette de la confiture et devenir ainsi l’organisation la plus puissante d’Europe, un peu comme une version tchetnik des Templiers.
La bataille fait toujours rage. Partout autour de nous s’agitent framboisistes, anti-framboisistes, fraisistes, adeptes modernes des Templiers, rosicruciens, punks, nazis, communistes, royalistes, démocrates, gauchistes, droitistes, socialistes, fascistes, hégémonistes, altruistes, amateurs de danse moderne ou d’ikebana, agents des services secrets, travailleurs humanitaires, pompiers, fakirs, faquins, et beaucoup, beaucoup d’autres. Nous ne sommes tous que des pions dans cet antique jeu de la confiture de framboises, qui remonte à l’aube de l’humanité.
Alors, restez sur vos gardes. Méfiez-vous de chacun, même s’il ne voulait vous offrir rien d’autre qu’un peu de confiture de framboises.
Traduction d’Ivan Radeljković et Sylvain Tanquerel
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Karim Zaimović était un écrivain, journaliste et critique de cinéma et de bandes dessinées. Né à Sarajevo en 1971, il y meurt en 1995, grièvement blessé dans un bombardement. Dans une de ses nouvelles, qui transcendent cette réalité brutale par leur fantaisie et leur humour, il prédit sa mort par une explosion d’obus.
Avant la guerre, le jeune autodidacte s’intéresse au cinéma, aux arts, à la littérature, et surtout à la bande dessinée, qui connut un essor considérable dans l’ancienne Yougoslavie avant son éclatement. Assez rapidement, Karim en devient l’un des plus grands connaisseurs. Il est également journaliste et écrit des textes critiques sur la BD, le cinéma et les arts plastiques, publiant dans les meilleures revues yougoslaves de l’époque. A l’âge de seize ans, il est déjà collaborateur de Radio Sarajevo et s’inscrit plus tard à l’Académie des Beaux-Arts pour étudier le design, mais change d’avis et opte pour la littérature comparée à la Faculté des Lettres.
Pendant la guerre, il fonde avec Semezdin Mehmedinović une revue littéraire intitulé Fantom slobode (« Le Fantôme de la liberté ») et rejoint la légendaire Radio Zid, qui réunissait des intellectuels dans l’objectif de faire acte de résistance dans et par la culture. Karim y animera une émission hebdomadaire, « Joseph et ses frères », dans laquelle il lira ses courtes fictions, influencées sans doute par Corto Maltese et d’autres BD, ou encore par des romans SF dystopiques. Ces textes sont sauvagement fantaisistes et abondent en théories complotistes volontairement absurdes et ridicules, sans presque aucune mention de la guerre en cours, complètement à contre-courant, donc, de ce que fait tout le monde à ce moment-là. Ce sera la façon de Zaimović d’essayer de surpasser une situation historique insoutenable. Aucun pathétique, cependant, dans ces nouvelles, leur auteur ne le permet pas : le rire transforme la réalité en proposant une vérité plus profonde. Malgré leur caractère résolument narratif, ces nouvelles relèvent en même temps de l’oralité, puisqu’il y a en elles une mise en scène de l’émission radio, et un écart ironique, introduit par un narrateur paranoïaque.
Après sa mort, on a retrouvé plusieurs manuscrits, dont deux romans inachevés et des fictions écrites pour son émission de radio. A partir de ces manuscrits fut reconstruit un recueil de nouvelles, intitulé d’après l’un des textes Le Secret de la confiture de framboises. Ce livre reste aujourd’hui l’une des plus importantes œuvres littéraires de guerre à Sarajevo, et même s’il a été écrit durant les horreurs de la guerre sans presque jamais les mentionner, il transcrit d’une autre manière ce qui se passait alors, avec une grande précision littéraire, et beaucoup d’humour, de tendresse, de folie… Karim transportait les Sarajéviens, qui l’écoutaient sur leurs petits radio-transistors, en dehors de la ville assiégée et loin de cette sale guerre, loin de l’agression aveugle qui s’acharnait sur les quartiers urbains habités par les civils, mais pas du tout pour fuir la réalité, plutôt pour la surpasser ensemble.
Ivan Radeljković