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  • Photo du rédacteurNenad Popović

Journal de guerre en Ukraine : 39e semaine








le 17 novembre 2022, 267e jour de guerre

Lorsqu’il y a quelques jours les forces russes se sont retirées de Kherson, j’ai senti la lumière, j’étais littéralement heureux. Personnellement, je l’ai fêté avec du vin rouge dans la cuisine, jusqu’à tard dans la nuit. Donc, c’est possible. Une grande ville n’a pas été anéantie, les immeubles sont toujours debout. Les citoyens, après la terreur de l’occupant sortent dans la rue et saluent l’avant-garde ukrainienne. Décontractés, les soldats se prennent en photo avec les gens heureux. Il a vraisemblablement été possible de s’accorder entre les armées russe et ukrainienne, pour qu’absolument tout ne soit pas détruit. Kherson n’a pas été marioupolisé et militairement demeure citta aperta. Si seulement cela était possible dans le reste de l’Ukraine sous les Russes !


Je lis aujourd’hui que dix millions d’Ukrainiens sont sans électricité. C’est plus ou moins un quart de la population. Les Russes ont détruit et détruisent l’infrastructure énergétique. Donc l’obscurité, le froid, il n’y a pas de chauffage. Non plus dans les hôpitaux. Alors qu’on n'est qu’en mi-novembre. On sait ce qui attend ces gens, une lente agonie hivernale. Long day’s dying est le titre d’un film (de guerre), là commence Long winter’s dying.



le 23 novembre 2022, 273e jour de guerre

Dans la matinée, entre huit et neuf heures sur France musique l’entretien avec la pianiste Elena Rozanova. Elle a cinquante-trois ans. Elle est née à Odessa, a fait ses études et a vécu à Moscou, vit à Paris. Parle un français parfait. La première question est, vu les compositeurs qu’elle jouera lors du concert à venir : « Êtes-vous Ukrainienne ou Russe ? » Elle perd son souffle, balbutie et répond : « Je ne sais pas, ça se trouve aussi bien l’un que l’autre. Odessa est aussi une ville à part, j’ai grandi à Odessa et longuement vécu à Moscou. La souffrance des Ukrainiens m’affecte énormément, mais je crains pour les Russes qui sont retombés dans le stalinisme et vivront avec beaucoup, beaucoup de difficultés. » Elle ajoute dans ces phrases sans cesse des « je ne sais pas », n’est pas sûre si l’animateur la comprend, ce qui dure pendant toute l’interview qui s’avère être complètement politique. Même lorsqu’il s’agit de Prokofiev qu’elle interprétera. Choqué, je dépose les écouteurs, me lève, regarde par la fenêtre. C’est que j’entends l’intellectuel de l’Europe de l’est qui sans arrêt explique quelque chose, sans la certitude que qui que ce soit le comprenne à l’Occident, où on parle sèchement, en définitions et formules, où on a des opinions bien arrêtées, où on "défend des thèses". Elena Rozanova, pianiste reconnue, à 53 ans par contre fait tout le contraire, prend des pauses, cherche le bon mot, "tente". Et est le pur exemple de la formule d’appartenir et de ne pas appartenir d’Ivan Lovrenović.


L’écoute de France musique du matin au soir, sur internet avec des véritables écouteurs de studio calés aux oreilles, avec la guerre en Ukraine m’est devenue importante comme preuve qu'un monde de l’esthétique existe, du beau. La chaîne diffuse H24, pile ce qu’il me faut. À la différence du fameux et sûrement culte Bayern Klassik, les animateurs n’expliquent pas les musiques, ici ils ne font que décrire. Les piliers esthétiques en tant que pierres angulaires, les rappeurs de la rédaction : Johann Sebastian Bach et Debussy/Ravel. Et du free jazz, qu’on entend pendant deux à trois heures dans l’après-midi. Cette fois-ci, je me suis fait surprendre avec Elena Rozanova, je me suis levé comme échaudé et ai déposé les écouteurs, pour l’instant. Un attentat. À savoir que je suis moi-même de plus en plus un Européen de l’est. (Alors que je pensais être plutôt occidental.)






Journal de guerre en Ukraine


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