Slađana Bukovac
Grande puissance
La guerre ukrainienne est « ma guerre » avait écrit sur Facebook un homme que je ne connais que par Facebook. Il était un des volontaires des plus agiles à Banija pendant le tremblement de terre. Il a affiché la photographie de son fils, un enfant d’à peine dix ans, l’enfant se tenait accoudé à une réception indéfinie, et avait besoin d’une aide médicale, et n’avait été accueilli que dans un hôpital à Kyiv. À ce moment-là, l’Ukraine était tout pour le père, et les humanitaires sont plutôt programmés à rendre et non à bénéficier des services. Et là il n’est pas en mesure de rendre cet amour, il conduit d’un poste de contrôle des réfugiés à un autre, achemine les gens, et les affaires.
Cela m’a incité à me demander pourquoi est-ce que la guerre d’Ukraine serait aussi « ma guerre », même si je n’ai aucune dette semblable, et selon les innombrables avis sur les réseaux sociaux et dans les médias, nous considérions comme politiquement correct que « ma guerre », suite à celle qui fut au plus près « la mienne », ayant réorienté ma vie à jamais et pas nécessairement dans la meilleure des directions, que donc chaque guerre, sur n’importe quel continent, et dans des circonstances qui me seraient plus ou moins connues, se devait d’être à nouveau « la mienne ».
C’est que, malgré le niveau du politiquement correct qui par moment s’approche de l’onanisme verbal, personne n’aurait supporté toutes ces guerres en tant que « siennes ». À tout homme, peu importe de quoi il est forgé, ne serait-ce qu’une seule guerre dépasse ses capacités et en a ras la casquette, en se réjouissant infiniment de ne vraiment rien savoir sur les autres guerres, tout comme le bonheur peut nous effleurer en sachant que nous n’avons pas connu quelqu’un qui aurait décédé, et qu’enfin quelque chose ne nous concerne pas.
Moi cela ne m’a pas réussit avec cette guerre d’Ukraine. L’intérêt que je porte à cette guerre ne découle pas du fait que je pourrais être une « âme charitable », car cette âme se serait surement enfuie de ce merdier, et ne resterait pas étalée trois jours de suite sous la couette remuant les traumatismes vieux de trente ans ; l’intérêt, comme toute motivation divine, résidait dans la similarité, la familiarité. Non parce que les Ukrainiens et moi aurions des yeux bleus, car moi à vrai dire je ne les ai pas, mais car les Ukrainiens, les Russes et moi appartenons au même monde, au même milieu culturel, le seul que je connais, car je ne voyage pas spécialement et n’en avait pas l’occasion, et se sont aussi bien les transitions que les guerres qui avaient leurs incidences ; voyager extrêmement loin et rencontrer d’autres continents et d’autres cultures n’était pas à ma portée.
Les Ukrainiens et les Russes sont donc « miens ». Les Ukrainiens sont « miens » car ils sont juste là, pas loin sur la carte géographique, alors qu’ils sont si petits, vraiment minuscules par rapport à la Russie. Et cela m’irrite au plus haut point lorsque quelque chose d’énorme déferle, piétine et tue quelque chose de minuscule, qui n’a aucune chance de se défendre. Car l’Ukraine n’avait pas à être défendue d’un monarque délirant, ou d’aucune autre calamité.
Surtout il ne fallait pas la défendre en tuant des enfants, en détruisant des maisons, et en brulant des musées. Il ne fallait pas la défendre avec un million de réfugiés sur la frontière peu poreuse, il ne fallait pas la défendre de ses soi-disant péchés en la dépeuplant, et en abattant la population.
Et la Russie n’y avait strictement aucun droit. Et quand je dis Russie je pense à « ma Russie », tout comme au nom de « sa Russie » s’en excuse l’écrivain Mikhaïl Chichkine. Et je sais ce qu’est la Russie de Chichkine, je peux presque la palper : c’est le pays traversé d’un art et d’une science splendide. D’un côté, c’est le pays d’une immense souffrance, où depuis des générations sont maltraités, punis, flanqués dans des goulags, empoissonnés, poussés au suicide et chassés ceux qui d’une manière élégante et ancienne on nomme « l’intelligentsia progressiste ». Alors a écrit sur cela Soljenitsyne, puis a écrit Nadejda Mandelstam, Nabokov était obligé de partir, Marina Tsvetaïeva a tenu effroyablement longtemps jusqu’à avoir échouée à l’hospice des pauvres, Harms est mort de famine dans une prison, où à l’asile. Pasternak est mort comme un chien, avec une seule ligne dans les journaux, deux jours après qu’on lui avait interdit de se déplacer à Stockholm pour recevoir son Prix Nobel, car autrement il n’aurait probablement pas pu revenir au pays. Personne n’a vu Victor Pelevine, nous devinons à quoi il ressemble grâce aux photographies, personne ne sait où il vit. À l'Occident, cela aurait été une amusante astuce marketing, mais Anna Politkovskaïa est abattue dans l’ascenseur de son immeuble. L’exécuteur jamais trouvé, trois Tchétchènes arrêtés puis libérés, lisez Politkovskaïa.
Si qui que ce soit, ayant toute sa tête, est en ce-moment précis gêné de ne pas pouvoir écouter Tchaïkovski, qui est en fait Ukrainien, qui s’inquiète à l’instant même de ne pas pouvoir arriver à temps à l’exposition de Malevitch, qui est d’origine polono-ukrainienne, que lui soit obstrué l’accès à Gogol, qui vient d’une famille de cosaques ukrainiens, alors ni vous ni votre approche prétendument politiquement correcte ne savez que dalle. Votre impression d’avoir été humiliés est idiote, vous vous y plaisez tout simplement, voulant le burlesque. Vous n’êtes pas capables de pencher hors de votre balançoire : voilà qu’ils viennent d’interdire aussi les chats gris russes, bien sûr que c’est stupide, mais le sujet est charmant, douillet ; sympa pour en parler. Et il y a encore de ceux qui sincèrement supportent les dictateurs lilliputiens : vous espérer qu’il dévorera l’Ukraine pour que vous ne soyez pas attaqués. Vous faites des reproches à l’Ukraine de laquelle en cet instant précis coule le sang, car elle veut accéder à l’OTAN, et que son président est un comique, quelle met en danger la « grande puissance ». Alors que la « grande puissance » sont tout ces malheureux gens, et de tels innombrables destins individuels il y en a qu'ils ne peuvent même pas être énumérés. La « grande puissance » est Volodymyr Zelensky, et pas votre peur égoïste des têtes nucléaires d’un agent nain. La « grande puissance » ce sont les sept monuments de l’UNESCO sur le territoire de l’Ukraine, qui seront écrasés par des enfants russes sous-alimentés où encore les psychopathes tchétchènes soigneusement sélectionnés. Mais qu’est-ce qu’ils en ont à foutre de la « démocratie », mais ce n’est qu’une tribu, ils ne sont pas de taille. Qu’ils baissent leurs têtes, qu’ils prennent des décisions « sages », c’est qu’ils n’ont pas cette « mentalité » qui mériterait mieux.
Gloire à l’Ukraine. Et gloire à « ma Russie », qui est mortellement condamnée à de tels idiots dérangés au pouvoir. Gloire à tout ces héros.
Traduit par Yves-Alexandre Tripković
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