Ami de l'ami des animaux
LA CONFESSION Si je pouvais être meilleur, je le serais. Si je pouvais être pire, je le serais. Je n’ai pas assez de force pour être meilleur, je n’ai pas assez de courage pour être pire. Lorsque je veux être meilleur, je fais une bêtise, lorsque je veux être pire, je me rends ridicule. C’est pourquoi je ne peux être bien meilleur que je ne le suis, car ce n’est pas bon. C’est pourquoi je ne peux être bien pire que je ne le suis, car cela n’est pas bien non plus. Je dois me supporter tel que je suis, et cela n’est pas bon non plus. AMI DE L'AMI DES ANIMAUX Mon ami, qui est d’ailleurs l’ami des animaux, ne rate aucune occasion pour mentionner que je suis son ami même si, cela faisant, il me traite indirectement d’animal. Car c’est bien logique, que s’il est l’ami des animaux et si je suis son ami à lui, alors je suis un également un animal. Mais lui, le dit avec des motifs tout à fait bienveillants, et même s’il me disait que je suis un animal, cela aurait juste signifié pour lui que je suis son ami. Et pour prouver quel bon ami à lui je suis, et à quel point il me respecte, il m’a proposé de devenir moi-même l’ami des animaux pour que notre amitié soit encore plus forte. J’ai tout de même réussi à éviter cela, de ne pas devenir l’ami des animaux, tout en restant son ami à lui. Car, en homme plus ou moins moral (moral dans les limites de la normalité), je considérais qu’il serait immoral de ma part d’être l’ami des animaux, sans pour autant ne changer radicalement mon menu. Car il m’a semblé qu’il ne serait pas convenant, en tant qu’homme plus ou moins moral comme cela a été dit, que je mange un de mes amis, que, Dieu m’en préserve, je mijote, je fasse mariner, je sale, poivre ou frappe à l’aide de l’attendrisseur un de mes amis. Je ne m’imagine pas remplir la poitrine d’un de mes amis, de le cuisiner dans la soupe avec des épices, de même que je ne pourrais réchauffer aucune des parties d’un de mes amis, si jamais je disposais des restes de la veille. Et je suis tout à fait convaincu que cela ne m’aurait aucunement fait plaisir de garder un de mes amis dans le congélateur. Car, alors que de nature douce, il me faudrait souvent ouvrir le réfrigérateur et regarder tristement les parties de mon ami en lui demandant pardon de l’avoir placé dans un lieu aussi froid. Et tout ça parce que je ne pourrais être l’ami des animaux, en acceptant que nous puissions considérer certains amis bons à être mangés, et d’autres uniquement en amis tout court, qu’on ne mangerait pas. Une question purement morale surgirait : Est-ce que tous les animaux sont mes amis, ou mes amis ne sont-ils que ceux qu’on ne mange pas ? Pendant un temps, je flirtais avec l’idée que nous pourrions occasionnellement déclarer certains de nos amis être nos ennemis, pour pouvoir les manger, mais cela m’était suspect. Et c’est bien pour cela que je suis resté déterminé dans mon intention de ne pas devenir l’ami des animaux, mais juste l’ami de l’ami des animaux. Lorsqu’avec l’ami des animaux j’assiste à un dîner, je ne me permets jamais, ne serait-ce même d’un simple geste, de faire comprendre à mon ami qu’il est justement en train de ronger le faux-filet de son ami, ou qu’il trempe le pain dans la casserole dans laquelle son ami vient d’être mijoté. Je respecte mon ami et je n’aurais jamais fait quelque chose à l’encontre de son appétit, et je sais aussi qu’il respecte également ses amis et qu’il essuie sa bouche avec deux-trois serviettes après avoir mangé, pour écarter toute trace de graisse de ses amis, et qu’ensuite, l’espace d’un instant, il clôt béatement ses yeux en disant pieusement : « Oh, que je vous aime, mes amis ! » LE BIEN, LE MAL ET CETTE VIEILLE Celui qui fait du bien, souhaite faire un peu de mal. Celui qui fait du mal, souhaite parfois se racheter en faisant du bien. Lorsqu’un véritable salopard, authentique et entraîné, fait une fois quelque chose de bien, tous se battent pour le calomnier en premier : « Ça se savait ! L’hypocrite devait montrer son vrai visage ! » Parfois, il est bon de faire du bien ; parfois, c’est mal de faire du bien, et bien de faire du mal. Le mari dont la femme était bonne envers un troisième ne trouvera pas ça bon. La femme, lorsqu’elle découvre son mari avec la voisine tire en rafale : « T’es bien trop bon envers elle ! » Lorsque quelqu’un te rate bien, toi t’es bien. Lorsque quelque chose de mauvais te blesse bien, toi tu n’es pas bien. Le bourreau qui travaille bien ne fera jamais quelque chose de mauvais en laissant quelqu’un survivre. Combien de fois avons-nous seulement fait quelque chose de bien à quelqu’un ? Et nous l’a-t-il rendu en mal, ou a juste oublié ce que nous avons fait pour lui ! C’est pourquoi nous avons plus souvent regretté d’avoir fait quelque chose de bien, et non pas de mal. Celui qui pense te faire du bien te fait le plus de mal en t’informant que ta femme te trompe. T’as beau le planter ou pas, le mal fleurit partout et toujours ; le bien ne fleurit que parfois et seulement ici et là, c’est pourquoi tout le monde nous pardonne le mal que nous faisons dès que nous faisons quelque chose de bien. Si à tout hasard, nous faisons souvent et démesurément du bien, cela personne ne nous le pardonne. Toi, bien entendu, tu es poissard. Dès que tu fais quelque chose de mal, on te tabasse en règle. Dès que tu te saisis de quelque chose de bien, on te le prend pour quelque chose de mal et on te tabasse à nouveau. Si aujourd’hui, Raskolnikov tuait cette vieille prêteuse sur gage, la cambriolait, investissait cet argent dans un business, s’enrichissait et devenait donateur, il serait un héros national ! Il investirait dans des églises, théâtres, salles de sport et personne n’aurait prêté attention à sa confession tardive : « Les débuts étaient difficiles, j’ai d’abord tué l’autre vieille et boursicoté avec ses sous, accumulant ainsi assez pour pouvoir aider mon peuple. Mais s’il n’y avait la vieille… » Tous l’auraient arrêté de suite en souriant : « Laissez tomber la vieille ! Mais dites, quand est-ce que votre argent arrivera-t-il sur notre compte ? » Parfois, il vaut mieux être un mauvais bienfaiteur qu’un bon malfrat, mais pas toujours. Parmi nous il n’y en a pas un seul qui ne réfléchit pas comme suit : « Si notre religion, notre culture et notre sport dépendent de deux-trois mémés, alors on est tout de même du côté de Raskolnikov ! » C’est bien que chez nous, il y a pas mal de tels Raskolnikovs. Ce qui est mal est qu’il n’y a pas suffisamment de telles mémés.
CONTE DE NOËL Lorsque les rumeurs que le Saint-Esprit avait visité Marie et qu’immaculée, elle a enfanté le petit Dieu, commençaient à circuler, ces esprits saints se sont soudainement multipliés. Ils venaient la nuit en frappant à la porte. « Qui est-ce ? » demandait le mari, et lorsque la réponse était : « Le Saint-Esprit », le mari appelait de suite sa femme laissant pénétrer le Saint-Esprit dans la maison, lui-même restant devant la porte en faisant la garde pour que personne ne s’en approche. Parfois, le mari trouvait un inconnu sous son lit et demandait : « C’est qui ? », et la femme répondait pieusement : « Comment se fait-il que tu ne le sache pas ? C’est le Saint-Esprit ! », « Et pourquoi porte-il mon pyjama ? » demandait le mari, et la femme répondait : « Mais quel incrédule ! Alors comme ça, même à l’esprit saint tu ne prêterais un quelconque pyjama ? », puis elle montait sur ses grands chevaux : « Va un peu nourrir le bétail, fait n’importe quoi, pour que l’esprit saint ne gèle pas sous le lit ! » Et le mari sortait de la maison, vaguait dans la cour, revenant seulement, une fois certain que le Saint-Esprit soit reparti régler ses affaires saintes, disant à sa femme : « C’est gentil de m’avoir replié le pyjama. » Et lorsque les femmes commencèrent à enfanter et que les maris constatèrent qu’aucun des enfants, même de loin, ne ressemblait au petit Dieu, il y eurent de moins en moins d’esprits saints. Ne survivaient que les plus acharnés et les plus habiles, mais même parmi eux, rares étaient ceux qui s’en sortaient sans hématomes. N’empêche qu’il y avait toujours des époux croyant sincèrement que leurs épouses pouvaient être visitées par le véritable Esprit-Saint. De même qu’ils en sont convaincus au jour d’aujourd’hui, ils les laissaient s’introduire dans la maison, certes sans que personne ne s’en rende compte, mais c’était visible par leurs pyjamas pliés de la même manière dont ils étaient pliés avant que l’Esprit-Saint ne les avaient revêtus. Et ils se taisaient, sachant que chaque conception, surtout immaculée, demeure un grand secret divin. L’HISTOIRE ÉTERNELLE Un jour, j’ai remarqué qu’elle avait une dent pourrie. Un jour, j’ai remarqué qu’elle avait un sale caractère. Un jour, j’ai remarqué qu’elle avait un papa et une maman, un frère et deux sœurs et qu’ils avaient tous des sales caractères. Un jour, j’ai remarqué que l’amour avait quitté notre maison, alors je suis parti moi aussi. Je n’ai emporté que deux valises et une photographie d’autrefois, sur laquelle je la regarde amoureusement et elle sourit. Un jour, j’ai pris cette photographie et me suis mis à l’examiner attentivement. C’est là que j’ai remarqué qu’elle avait déjà cette dent pourrie.
L’AUTOPORTRAIT DE GROUPE S’il n’y avait ceux qui demandent l’aumône, je n’aurai jamais su qu’en moi il y a tant de générosité et que je suis en mesure de sortir de ma poche quelques monnaies, me privant de celles-ci au profit des autres. S’il n’y avait ceux qui me voyaient parfois offrir de la monnaie à ceux qui demandent l’aumône, personne n’aurait su que je suis habité par la noble nature consciente du rôle de la miséricorde, et peut-être ne l’aurais-je pas su moi-même. S’il n’y avait moi qui vous regarde vous lorsque, passant auprès de ceux qui demandent l’aumône, vous mettez la main dans votre poche, vous n’auriez même pas su être en mesure de vous priver de ce que vous avez au profit de ceux qui n’ont pas, surtout en présence de ceux qui peuvent en témoigner. S’il n’y avait ceux qui coulent, je n’aurais même pas su être capable de tendre la main à celui qui est en peine, même si je ne réussis pas à l’aider à se sauver.