Quel artiste je meurs !
- Teodora Ostojić
- 2 sept.
- 2 min de lecture

Ophélie
Toi
Grand et sage
Tes mots résonnent
Comme la sirène d’un navire
Nul n’interrompt les sonnets
Déclamés à travers ton épaisse moustache
Tu n’es pas militaire
Mais devant toi
Tous se tiennent en silence
Moi
Petite et muette
Je repose dans les fleurs
Du British museum
L’eau humidifie
Le romarin de mes mains glacées
Miserere Mei, Deus
de soudaines larmes amères
ont fait fondre le marbre de la Sagrada Familia
je bois une gorgée de son sang
au son d’un chœur enregistré
je ne crois pas en Dieu mais je prie de plus en plus
je chante les Dodoles et j’attends la pluie
sans doute nous sommes en période de sècheresse à Grenade
me suis-je dit en marchant dans une flaque d’eau
Les larmes de ma mère s’écoulent dans le Cocyte
J’entends dire que la voisine dort sous le lit.
Il y a une croix sur la fenêtre de ma chambre,
mais personne ne prie devant elle.
Demain nous déménageons dans le monde souterrain
Nous sommes dans une fourmilière sale,
protégée par une lourde porte.
L’air vicié semble apaiser les gens.
Dix-huit marches nous séparent du ciel.
L’Eléphant bleu1 retentit,
et je ne sais toujours pas qui est Madonna.
Je n’ai pas mes jouets,
je joue avec la balle d’enfants inconnus.
La sirène interrompt le jeu et nous allons dormir.
Maman m’a dit qu’à côté de nous était allongée une femme
qui avait survécu à un accident d’avion.
J’ai fait la connaissance de Strahinja.
Nous parlons de bombes.
Nous les cherchons dans le ciel comme des constellations.
Je ne pense plus à mes poupées.
Je demande à ma mère pourquoi elle pleure, mais elle reste silencieuse.
1 Chanson du groupe serbe Twins, sortie en 1998. Dans le premier vers de la deuxième strophe, le chanteur déclare avoir rêvé de lui et de Madonna.
Fardeau
nous sommes tous les trois appelés chez le médecin
je m’assois sur un banc branlant
de l’époque communiste
une horloge pend au mur sale
les aiguilles piétinent
monsieur Atlas
vous ne devez plus porter de choses lourdes
à chaque mouvement
ses épaules grincent
comme un embrayage cassé
Héraclès est assis à mes côtés
un tatouage de Méduse estompé sur la peau
une chaîne en or avec une tête de lion au cou
sa puanteur m’étouffe
je sors et je prends le monde sur mes épaules
Domus aurea
J’ai mis le feu à notre maison. Les flammes effleuraient avec douceur les photos, les œuvres et les trophées de handball. Les fenêtres s’émiettaient en sable, les murs se changeaient en coquillages. Le clown sur fond vert continuait de sourire. Le toit blanc et brûlant appelait à la lyre. Plutôt qu’une victoire, le feu m’offrit une épitaphe au pied du pin de l’église. Tandis que mes chaussures se réduisaient en cendre, la lumière me soufflait à voix basse Quel artiste je meurs !
Traduit du serbe par Zivko Vlahovic