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  • Photo du rédacteurPhilippe Naumiak

L'Ukraine au cœur de Paris


Alina et Raïssa, gérante et cuisinière du restaurant ukrainien Oranta, à Paris le 22 février 2022

© Agathe Mahuet / FranceInfo / Radio France






Chronique (culinaire) de l'(ancienne) diaspora ukrainienne




Manger ukrainien à Paris ? Pari tenu !

Se faire le critique culinaire d'un, ou plutôt du restaurant ukrainien des beaux quartiers parisiens, est pour moi une gageure. Je me dois de jouer le jeu, y aller comme un quidam parisien et masquer mon identité pour ne pas me laisser emporter par un patriotisme de la table et une bombance bandériste (voir glossaire) du borchtch. Depuis le temps que l'on attendait un restaurant ukrainien, de surcroît dans la capitale de la culture de table. D'emblée, saluons le défi. Donc pas un mot d'ukrainien de ma part, j'y suis allé en chemise et bretelles, d'un air de promeneur armoricain en gogaille. Et je ne suis pas allé faire la bise à la Baba en cuisine et papoter popote (qui s'avère être un cuisinier, sic, avec une bonne tête ronde d'Ukrainien). Oui, ce fut une gageure doublée d'une torture, mais la plume a ses règles. Surtout au pays de Babette et de son Festin à deux pas du fameux Café Anglais qui, évidemment, n'a rien en commun avec la cuisine anglaise, cet oxymore. Du reste, en Amérique anglo-saxonne, il fallait faire cabaret pour qu'un restaurant ukrainien tienne sa clientèle.

Petit retour en arrière. A deux pas de l'église ukrainienne du côté de Saint-Germain s'ouvrit, il y a trente ans, un semblant de restaurant ukrainien qui rapidement vira charme slave et ratatouille soviétoïdale pour finir blinis pour potes à la Popov. On s'y était rendu un dimanche après la messe, des trognes à la sauce soviétos nous avaient fait comprendre qu'elles étaient occupées à ne pas nous servir... Un détail de la nullité : certains clients signaient leur passage sur le mur de la salle, à se croire aux aisances. J'y vis « Aliocha et (sa bimbo) Katioucha » d'un bled trou-de-balles vers Novomoskovsk plus un baratin en russe... L'affaire ne tint pas, évidemment, et finit en jus de boudin petit-russien.

Épater un Parisien avec des varenykys n'est pas une mince affaire pour la simple raison que tout plat traditionnel de nos campagnes, cela va de la galette bretonne de blé noir au cassoulet sudiste en passant par le baeckeoffe alsacien et la carbonnade flamande, est forcément bon quand votre mémé ou votre baboussia vous le prépare. Mais, au restaurant, c'est une affaire quelque peu plus raffinée car là se joue et se paie le talent de l'artiste en cuisine. Un bœuf bourguignon dans un boui-boui des bords de route vous contente, mais servir des varenykys en gastronomie à Paris c'est... Eh bien, je dois vous dire que, bec fin des festins ukrainiens, je fus épaté. Poussons la porte.

Ce n'est pas une brasserie ni un club-house so british pour rattraper mon oxymore précédent. La salle est lumineuse, attrayante, pimpante. On est dans le quartier des bureaux et des affaires pour le midi, des touristes en goguette le soir. Donc un brin d'exotisme à la semi va-vite ou en flânerie, selon l'humeur. Ou plus si le cœur vous en dit, car rien ne vous pousse à la dépêche, la carte est large pour vous contenter, mais pas trop - ce qui est bon signe car on évite ainsi, en coulisse, la réfrigération resservie. Et tout est bon pour une fine gueule en virée parisienne.

Je pris en hors-d’œuvre le borchtch, rien d'original me direz-vous. Mais justement, là est le tournant où l'on attend le cuisinier. Il lui faut ce quelque chose qui hausse et pimente l'ordinaire et je ne fus pas déçu. Le borchtch tenait à la fois d'un souper au potage, au velouté et au consommé de betteraves, soyeux, avec son arrière-goût de pot-au-feu dû à son fond de viande qui s'avère être un délicat carré de porc. Borchtch servi avec sa crème et son petit pain fait maison, des plus léger pour ne pas vous empâter le palais.

Les varenykys sont aux Ukrainiens ce que la potion magique est aux Gaulois. Et j'en ai mangé en mon demi-siècle d'existence, au chou, à la pomme de terre, au pruneau, à la Noël, aux repas paroissiaux de notre église parisienne, chez ma belle-mère, aux colonies de Mackwiller et de Rosey, aux koliadys, au collège pontifical ukrainien de Rome où j'étudiai de 1976 à 1980. Nos braves bonnes sœurs nous les servaient open bar chaque dernier vendredi du mois. On s'en pétait la panse et les sermons du recteur le dimanche suivant sur la gloutonnerie y pouvaient peu. Eh bien, là, je fus attrapé au tournant. Alina, la patronne, a remis au goût une vieille recette perdue : fourrés aux haricots rouges, ce qui leur donne un arrière-goût aigre-doux, salé-sucré si vous préférez. Le haricot teint en rouge la pâte fine dont le pli est aussi fin qu'un liseré de couturière. Les chkvarkys (à vos souhaits... lardons frits) craquaient sous la dent. Moi qui croyais avoir tout vu, tout goûté...

Le gâteau au pavot, le makivnyk, que n'aurait pas renié madame Daria Melnykowycz - cette grande dame de Lviv nous le servait aux koliadys parisiennes -, était délicieux et digne d'un café viennois.

Alina, charmante Franco-Ukrainienne typée ouest de la Galicie, donc ouest de l'ouest ukrainien, plus loin c'est mes phare et far ouest bretons, a ouvert début juillet. Elle s'enquiert d'une bière et d'un vin ukrainiens et envisage des spécialités pour les fêtes de Pâques et de Noël. Elle refuse la facilité de la ratatouille au charme slave russolâtre et ses blinis russkoffs tous publics. Et ça, ça s'honore. Allez-y, vous ne serez pas déçus.

La note à la carte est abordable et conséquente compte-tenu du lieu, du travail fait maison-main, de la fraîcheur et de l'originalité culinaire (si vous préférez le kebab de Barbès-el-Oued, le chinois à la chaîne de Choisy ou le Macdo au makivnyk, ce lieu n'est pas pour vous...). La formule du midi ravira les petits budgets et les pressés.

Orate fratres, nous dit la liturgie latine. Intrate at Oranta, serait ici le réponse entre deux chansons ukrainiennes toutes douces en salle.

Je suis sorti heureux de cette escapade qui me rappela nos repas de la paroisse ukrainienne d'avant l'Indépendance où nos grands-mères et tantes cuisinaient à l'ukrainienne. L'ancienne diaspora se retrouvait là, deux fois l'an, à Pâques et à la Noël, pour des agapes communautaires. Et c'était bon et bien ! L'opéra Garnier est à deux pas par le boulevard des Italiens, ils savent manger et chanter ceux-là aussi. Je suis allé la contempler, l'Opéra, l’œil allumé et marivaudeur...

Glossaire :

Bandériste : de Stepan Bandera, leader nationaliste ukrainien assassiné en 1959 par un agent soviétique.

Armoricain : d'Armorique, la Bretagne, après c'est l'Amérique où je suis né par hasard grâce à la méthode naturelle contraceptive qui fonctionna zéro fois sur quatre pour ma famille. On s'en fiche, mais moi j'aime bien dire que nous n'étions pas prévus mais nés et aimés.

Mak : le pavot, utilisé pour les pâtisseries dans les pays de l'est, fumé par les crétins chevelus à l'ouest, patronyme écossais des potes à William Wallace qui préfèrent le whisky à la fumette et ne renâclent pas à latter les Anglais et les hippies.

Le Festin de Babette : film, ode mystique et culinaire française (pléonasme).

Baba, baboussia, babounia, baboussenka, grand-mère et ses diminutifs. Le Festin de Baba, film à tourner en Ukraine.

Koliadys : Coutume traditionnelle ukrainienne qui consiste à aller chanter la Nativité et la nouvelle année de maison en maison. Tradition interdite sous le régime communiste.

Post-scriptum : L'Assiette du Cosaque, 78 rue Labat, Paris 18-ième, est un restaurant français avec des spécialités ukrainiennes que je conseille fortement.



Philippe Naumiak

initialement publié dans le journal La Parole Ukrainienne



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Restaurant Oranta

1 rue de Marivaux

75002 Paris


Possibilité de réserver pour des événements privés.

Voir toutes les informations sur la page FB : Restaurant Oranta.


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