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  • Photo du rédacteurSuzana Rudić

L'anatomie des mots de Suzana Rudić










Maison

Notre maison ne te rappelle pas toutes celles qui, dans une suite d’allées proscrites,

sont inscrites dans les fibres du Suaire du Turin ?

Ces blessures blanches baignant dans les échos de pas de cire te font-elles penser aux ombres

peuplant notre oasis,

pétrissant notre fougasse, ils le nomment dans l’interrupteur pour semer les graines sous un

paisible clair de lune.


Notre maison ne te rappelle pas toutes celles qui, dans une suite d’allées

devant lesquelles nous emballions notre repas dans un sac en jute, nous relions nos cuillères.

Nous sommes allés vers l’horizon.

Nos visages ressemblent-ils à celui de Pyrrhus ?

Comme si ce n’était pas suffisant, je te ferai un baiser de Judas.

Tout coule en aval.

Il se jette dans le réseau d’on ne sait quel méridien,


Autant rester où nous sommes, là. Étouffés.

Je te parle en te faisant des signes,

notre maison ne ressemble-t-elle pas à une boîte en carton,

où le mur dirige les siens, les souris s’immiscent à travers les poisons,

et nos yeux font une halte après notre exode.




Toutes les femmes vertueuses pétrissent le pain

L’après-midi, je me prends en photo pour une interview

dans un studio avec une boucle d’oreille en perle,

avec une micro-caméra de douleur,

je rends hommage à une minute de bonheur pour cent dinars.


En silence, je suis prête à passer le mot,

à m’attacher aux langes des nouveau-nés.

Avant même ma naissance, on m’a donné un fil à plomb afin de mesurer mon corps

et le versant sur lequel il s’incline.


Et je le sais, au plus profond de moi, je le sais

Au-delà du cadenas, les femmes en moi et pour moi avant moi,

pétrissent le pain de leurs mains affaiblies.

L’espoir écrasé, une constellation de regards d’enfants

plongés dans le lait bouillant.


Une époque sourde.

Les ombres suspendues à une corde picorent le foie.

La gorge assoiffée de larmes émaillées répandues

dans des rangées d’arbres ensanglantés dans la paume de ma main.


Au-delà du cadenas, les femmes vertueuses pétrissent le pain,

Leurs articulations tremblent au rythme de l’orchestre d’un rêve détonant,

Grâce à leurs têtes entre les embrasures, elles cousent

des pièces sur des fondations désunies.

Elles confirment l’anamnèse du foyer, la pose du collier autour de leur cou

Dans leurs veines, des serments gravés.


Au-delà du cadenas, toutes les femmes vertueuses

soignent à coup d’aiguille et de lavande de leurs mères les flancs sur lesquels se pose

le souffle des désirs débridés.

Elles font repartir le sang en caressant la miche

de pain et déjouent les plans du diable en émergeant de la vase.

Elles filent la laine à laquelle elles assemblent des brandons pour prévenir un malheur.

Elles balayent de la pointe de leurs cheveux, de leurs cernes fleuris

les apostrophes de leur mélancolie qui laissent poindre des bouts de papiers blanchis




Achèvement

Si j’enfonce des clous dans la mangeoire à la place de la paille,

je contournerai la finitude, un chemin bien trop familier,

je préparerai le fil, je te raconterai l’histoire depuis la barque.

Toutes les guerres commencent par les caresses d’un cri dans la gorge.

Par un frisson silencieux, par une odeur de poudre sur une pivoine.

Par un autodafé d’ailes de papillon dans un foyer.

Toutes les guerres sont marquées par la schizophrénie.

Elles émettent le son d’un mât qui se brise sur la proue.

Quand l’étreinte de ses cordes se resserre autour de l’utérus.

Quand le ciel se divise dans la moelle épinière.

Quand la barbe à papa fond et quand la tristesse s’inscrit

dans le visage des poupées de fêtes foraines.



Poème à mon père

Mon père qui es sur terre,

le jour de ma naissance, on a annoncé le décès d’un bûcheron, le pourvoyeur

des lames pour trancher les âmes, qui a déposé le barbeau sur la poitrine de ma mère,

qui a assaisonné notre table de berceuses.

Avant même mon départ, ils m’ont écrasé.

J’ai été séparé des fruits de l’eau par le durcissement de mes vertèbres,

par le passage à travers le chas de l’aiguille.

La sage-femme a scellé l’incision d’un X sur le front,

d’un appât pour les fils mal-aimés qui sous le pan des jupes des femmes

réclament la naissance avec le sang du bassin.

C’est moi, mon père, dont le rasoir coupe depuis les racines.

C’est moi, père, qui suis née comme un besoin dans les glandes.

Elle a poussé dans mon aorte comme une jusquiame qui m’a aidé à guérir de la variole.

On a cassé la furcula, ta marque m’est tombée sur les bras et je brode sur elle.

Tu sais, quelque chose en moi se délabre.

Mes cuticules brûlent, à chaque coup de vent je souffle sur mes doigts,

je traîne derrière moi des bandeaux, les orphelins font du traîneau sur eux

je me réchauffe avec le copeau de bois restant comme une mère

Je jetterai mon cœur dans le ravin et y érigerai une épitaphe –

que la volonté de Celui qui m’a fait descendre dans cette décharge soit faite.

Mon père qui es aux cieux,

sous mes enflures, je t’en prie, ne déforme pas mon nom de baptême.

C’est une longue flamme.




Janvier devait être à nous

Je ne te l’ai pas dit, autour d’un thé chaud,

j’ai rêvé que tu te trouvais là où le ciel a trois visages.

Autour des allumettes calcinées près de mon chevet où

mes doigts ont découvert l’essence de l’embrasement de mon habitat.

Nous avons laissé nos âmes sous notre seuil, nous nous sommes nourris

de la fuite du troupeau traversant le miroir brisé

Imagine que nous sommes des abeilles,

Nous tisserions un nid d’abeilles où on pourrait se blottir

après avoir marqué nos lèvres du sceau de la confession.

Je ne te l’ai pas dit, janvier devait être à nous.

Pendant ces jours où les artères du cou tracent le chemin

vers les poèmes foulés aux pieds.



traduit par William Višković

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