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Place des étoiles

Photo du rédacteur: Nenad PopovićNenad Popović





Depuis une dizaine de jours, je suis scotché à l'écran de l'ordinateur a regarder la chaîne N1 Serbie, suivant les rapports en direct sur les manifestations estudiantines, académiques et enfin paysannes en Serbie. Avec sa source à Novi Sad d'où a déferlé la vague du deuil et de la protestation citadine publique dû au terrible accident sur la gare ferroviaire locale¹. Les tout débuts je ne les ai pas suivis aussi intensément que là maintenant, mais juste entre d'autres horreurs qui se déroulent en temps réel, ukrainiennes, palestiniennes, israéliennes, soudanaises. À peine pouvons-nous les énumérer, tout comme ces impuissantes protestations des peuples frappés, muettes pour la plupart. La chaine croate N1, jumelé à la chaîne serbe,

jumelle aussi car "ne pouvant obtenir la fréquence terrestre", la seule chaine que je regarde ici – du Novi Sad délivrait de longues transmissions ou encore des résumés documentaires, et je remarquais que quelque chose clochait. Sauf que je ne suis pas sur Face, mais que celle-là est à cause de Novi Sad sous tension c'est mon épouse qui me l'a dit. Puis je me préservais. Sur les enregistrements et les transmissions que je regardais, je voyais la mélancolie sur les visages des manifestants que tout un chacun de "nos contrées" connait bien, et, de temps à autre les casseurs, qui foncent dans ces colonnes tristes, jurent, tabassent puis abandonnent et fuient par peur de la masse.


Ces nouveaux membres de la SA, l'abréviation pour la Sturmabteilung, section d’assaut du parti hitlérien, sont bien agiles, avec des chaines et des poings américains, aiment enfiler sur leurs têtes les capuches noirs en couvrant leurs visages de foulards (tout comme ceux à Zagreb d'ailleurs, qui ont fêté leur inauguration en crachant et battant les participants du premier Gay Pride). De même, j'étais choqué que même les commémorations sur les tombes ne leurs sont saintes, et psychologiquement il m'était rude de regarder les bienveillants habitants de Novi Sad, ce que je m'attribuais au cliché du sentimentalisme "typique pour la Voïvodine", de tous, Hongrois, Serbes, Croates, Gitans et qui sais qui d'autre. Aussi, dans ma conscience s'est discrètement faufilé Teofil Pančić, qui a depuis longtemps reçu dans le bus des barres métalliques sur sa tête, il me l'avait raconté en personne, puis disant, tel qu'il est, que ce n'était rien, qu'il s'est rétablit. Donc du coin de l'œil N1, résigné en avance, car, pour que les choses soient pires encore, les marches silencieuses ont démarré de l'Académie des arts dramatiques et des théâtreux. Je me disais que le débâcle était inévitable. Vili Matula et Urša Raukar en habits de Voïvodine, il ne manque plus que Vjeran Zuppa.


À un moment cela s'était juxtaposé au tragique de la défaite de Kamala Harris, femme noire, belle comme tout et comme ne peuvent être que les femmes, aussi d'une ­– "origine indéfinie". Chez nous on dirait issue "d'un mariage mixte". En Voïvodine, j'en suis sûr, tout abonde de gens "d'origine indéfinie", et c'était donc le moment quand les roues dentées de la mélancolie et du tragique allaient faire une accolade transcontinentale. Qu'a-t-elle dit alors et fait Kamala Harris ? Les candidats présidentiels en Amérique doivent admettre la défaite. Elle, pour ce faire, est allée à un campus universitaire. À une université noire, comme il y en a là-bas ; les caméras enregistraient aussi bien les étudiants blancs que noirs, et Harris leur a tenu un discours qui m'avait même moi impressionné. Trump a gagné, et elle à la fin disait aux étudiants : "C'est seulement quand le ciel est suffisamment sombre que l'on voit les étoiles. Vous les verrez briller encore plus. Et les suivrez." Puis s'est retournée en se dirigeant vers l'immeuble du rectorat, et à mi-chemin l'attendait son mari qui lui prit la main. Lui blanc, et le speaker dit : "Professeur de renommé, chercheur ou quelque chose dans le genre, Monsieur..." J'ai oublié son nom, en tout cas pas Harris, mais je vois ce mariage mixte, tout comme en Voïvodine.


Puis retournement : au cœur de l'obscurité, à Slavija et sur le Studentski trg, la Place des étudiants, de Belgrade, se sont illuminés des dizaines de milliers de portables. Slavija en tant que Place de l'Étoile, Place des étoiles. Poétique et pathétique ce que je dis, mais c'était vraiment ainsi. (Voilà comment c'était, que les larmes t'en viennent, dit-on dans une des parties (miennes) de la "région", du "Balkan occidental", "sud-est/demi-sud-et-demi-est" et je ne sais quelle Europe, "pays en transitions et ex-", "pays-membres et pays-candidats", morcelés, adhérisables ou presque, et demi, ilibéralement-libres et ceux très, très libres, reconnus ou encore qu'à moitié, nato-miragiennes et miragienno-migoviennes.)


Tout ceci s'est maintenant propagé à travers toute la Serbie, et moi jour et nuit je fixe N1 Srbija sur mon laptop, je le garde constamment allumé à côté du document sur lequel je travaille, avec la petite enceinte éteinte en-bas à gauche pour le son, ce que j'ai aussi appris en vieillissant de ne pas allumer, mais de laisser éteint. Cela faisant, j'ai sur les oreilles toujours prêt le casque de studio comme chaque espion croate qui se respecte. Mais aussi pour que ça ne résonne pas dans tout l'appart. Car il est vrai que les manifestations sont calmes, mais dans le studio tous, énervés, parlent d'un ton surélevé. Vrai aussi qu'avec l'âge j'entends de moins en moins, du coup le casque professionnel AKG K72 m'est plus qu'utile.


La dernière choses que j'ai vu hier est lorsqu’un invité avait estimé dans le studio que les manifestations de Novi Sad s'étaient, en passant par Belgrade, Kragujevac et Niš étendues sur cent cinquante villes et lieux, aussi les images nocturnes du quartier belgradois Autokomanda où, me semble-t-il, vivait Petar Luković. Montrant les citoyens se joignant massivement aux étudiants, calmes comme à la procession.



Dans l'après-midi le programme était plutôt divertissant. Dans un village de Voïvodine les paysans avaient encerclé de leurs tracteurs un escadron de police, qui était là pour arrêter un de leurs voisins car celui-ci aurait une scie électrique, et que cela serait l'indice qu'il aurait scié un grand arbre qui s'était sous un angle droit abattu coupant la route en deux – pile devant le président de la République lui-même, c'est pourquoi dans la cour familiale avait aussi débarqué la BIA, si j'ai bien entendu. Pour moi un mot nouveau, mais vu que je suis de la "région", tu saisis à l'instant que c'est la police politique. Je l'ai capté grâce à la sonorité : poa, ozna, udba, bija. Un paysan disait à la caméra qu'ils n'ont pas à venir au villages les emmerder. Et la femme de celui enfermé dans la maison est sortie en disant face caméra : "Nous n'avons pas scié les arbres, nous nous sommes mariés hier après-midi puis avons fêté à la maison avec des amis, mais on soutient les étudiants." Juste après, le président s'est adressé. Il a dit aimer se joindre au blocage d'étudiants pour jouer aux échecs avec eux.


Par contre, les tracteurs des environs stationnaient là où l'on jouait aux échecs pour veiller sur les étudiants, car il arrive que certains se mettent soudainement à foncer sur eux, les piétiner, puis les équipes de sauvetages les emmènent sous les gyrophares bleus aux urgences chirurgicales. Riches de cette expérience, les étudiants se sont organisés de sorte à ce que les vigiles, pendant ces parties d'échec, gardent en permanence les voies de circulation libres pour le transport des blessés. À ce propos, N1 Serbie m'a informé hier que de tels attentats en voitures, couteaux, chaines, poing nus, des premières commémorations aux victimes à la gare de Novi Sad jusque-là il on en a été enregistré une cinquante.


Le chiffre vraisemblablement n’inclura pas la pendaison du lapin mort devant une école de Novi Sad, en tant qu'avertissement aux enseignants et parents d’élèves, car s'étant solidarisés aux tristes processions. Sur quoi les parents et les enseignants avaient le soir même organisé le grand rassemblement du Novi Sad – en passant des coups de fils tout simplement. Le meurtre du lapereau n'était plus du tout aussi amusant comme ce qui se produisait dans l'après-midi, mais écœurant, pas vraiment une nouvelle pour bonne nuit.


L’Épilogue : Tracteurs, tracteurs

Sur les tracteurs serbe il y aurait à écrire, du grand parcours s'en servant comme d'un taxi en quittant la Croatie jusqu'à aujourd'hui où il sont les icônes du soutien des agriculteurs aux étudiants. Il sont vieux, usés, la misère du village serbe. Servent aujourd'hui dans les villes comme des chars civiles. Les conducteurs sont de jeunes gars, ça se trouve même les fils ou petit-fils de ceux de l'époque. C'est ce qu'au moins les modèles laissent deviner.


Pula-Pola, le 28 janvier 2025


traduit par Yves-Alexandre Tripković




Nenad Popović

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