Les Émigrants de W. G. Sebald par Krystian Lupa
Après avoir mis en scène Broch, Musil, Bernhard et Kafka, Krystian Lupa se confronte aux Émigrants de W. G. Sebald. Dans ce récit hypnotique à la croisée entre fiction et document, l’auteur allemand reconstitue la vie de quatre hommes qu’il a côtoyés à un moment ou à un autre de sa vie. Ils ont en commun d’avoir connu l’exil, et d’en avoir été marqués à tout jamais. Leur rêverie intime, parcourue au fil de ce qui s’apparente à un long poème en prose, l’étirement d’un temps devenu palpable durée, la densité singulière de l’écriture : tout chez Sebald fait écho à l’univers de Lupa, et à son travail avec les acteurs, fondé sur le surgissement de leurs paysages intérieurs. Pour le metteur en scène polonais né en 1943, porter au théâtre deux de ces portraits d’émigrants (celui de Paul Bereyter, ancien instituteur de Sebald chassé d’Allemagne par le régime nazi, et celui d’Ambros Adelwarth, son grand-oncle parti pour les États-Unis dans les années 1910) est une façon de nous rappeler au “pouvoir destructeur de l’être humain” : celui qui contraint des êtres à la fuite, au bannissement – à la perte radicale de leur “patrie spirituelle”. Car telle est selon Lupa, la tragédie qui habite Les Émigrants : quelque chose de bien plus violent que ce à quoi renvoie l’idée de nationalité, ou d’appartenance à un État.
Inspiré par les photographies spectrales qui scandent le récit de Sebald, par ces particules de vie immortalisées telles des reliques, il fait surgir sur scène, à travers ses interprètes, des déchirures indicibles. Et crée, une fois encore, de fulgurants points de passage entre la présence des acteurs, charnelle, concrète, et la profondeur mystérieuse de la littérature dont il nourrit son théâtre.
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