Adieu, désert de Dražen Katunarić
Sandorf, l’excellente maison d'édition zagréboise a tout récemment publié le nouveau roman de Dražen Katunarić Adieu, désert (Zbogom, pustinjo).
Pas loin de la petite ville Tamesguida en Algérie, les terroristes islamistes ont en 1993 décapité douze ouvriers de l’entreprise Hidroelektra. Focalisé par la Guerre de Croatie, le public croate remarque à peine cet horrible crime, l’oubliant aussi vite. Des années plus tard, les deux ouvriers survivants témoigneront sur ce massacre. Dražen Katunarić avec son roman Adieu, désert offre un contexte plus large qui amena à la tragédie, à la haine réciproque, une forme et un visage, le tout par une subtile mise en teinte d’un excellent prosateur. Conscient qu’un récit documentaire des événements ouvriers sur le chantier aurait mené au réalisme socialiste, Katunarić supprime la narration conventionnelle et introduit la polyphonie et une structure intéressante au point de vue de la composition d’une écriture parallèle avec des personnages vibrants et un constant contrepoint à la voix de base.
Dans le monde masculin du chantier, il y a une femme, Klaudija, représentante de la génération perdue des hippies prônant l’amour libre et les aventures rimbaldiennes, le personnage principal, et autour d’elle gravitent Tarzan, Rajko, Dubravko… La fragilité des destins humains crucifiés entre des passions amoureuses et autres sur un fond de folie historique, et sans succomber à la moralisation ou au pathos, donne du cachet au roman ; le « choc » des continents et des civilisations, de l’Europe périphérique et de l’Afrique désertique, de Croates et d’Arabes est présenté sans embellissement aucun et en s’affranchissant de la notion du politiquement correct.
Construit sur des contrastes entre le brutal et le poétique, le cruel et le cosmique, l’amoral et le stellaire, le roman Adieu, désert à la fois englobe la crédibilité d’un document et la stratification d’une réalité psychologiquement dynamique, enveloppées dans la grâce d’une fiction littéraire.
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Dražen Katunarić, né en 1954 à Zagreb est un poète, essayiste, romancier et éditeur croate.
Il fait des études de philosophie à l'Université des Sciences Humaines de Strasbourg. Jean-Luc Nancy était son directeur de mémoire, intitulé Dostoïevski et la philosophie du souterrain.
Il a dirigé les revues littéraires Lettre internationale (l'édition croate) et Most/The Bridge et actuellement dirige la revue littéraire Europski glasnik (Le Messager européen) et la maison d’édition Litteris. Entre 2001 et 2006, il fut le vice-président du PEN-centre croate.
Traduit en de nombreuses langues, il s’est vu décerner plusieurs prix littéraires dont le Prix du Cercle européen en 1999 ; il est le détenteur de l’Ordre de Marko Marulić depuis 1996 et est fait Chevalier de l’ordre des Arts et des Lettres en 1999.